L'énigme
du "oui" mexicain
LE MONDE | 04.08.2011
à 14h52 • Mis à jour le 04.08.2011 à 14h52
Par Frédéric
Saliba
A Mexico, demander son chemin tourne parfois au jeu de piste. "C'est
par là", lâche volontiers l'homme de la rue sans se soucier de
la véracité du renseignement. Mieux vaut croiser l'information auprès
d'un tiers, cela vous évitera des déconvenues dans cette ville
tentaculaire de plus de 20 millions d'habitants. "Les Mexicains ne
savent pas dire non", explique Olivier Soumah-Mis,
consultant en management interculturel.
Aimable et
attentionné, le caballero ("gentleman") tutoie à
l'envi les vendeurs, ses clients et même ses supérieurs hiérarchiques. Le
vouvoiement est une marque de distance respectueuse qui ne s'utilise que face à
une personne âgée ou à un haut dignitaire. Mais s'il est familier, le Mexicain n'en
est pas moins courtois en toutes circonstances. Muchas gracias ("merci
beaucoup"), muy amable ("très aimable"), con
permiso ("avec votre permission"), dit-il dans les lieux
publics. Si quelqu'un éternue, l'incontournable Salud ("à
vos souhaits") entraîne automatiquement un gracias de
l'intéressé. Idem pour le buen provecho ("bon
appétit"), lancé à la cantonade en entrant dans une fonda,
cantine familiale.
Même souci de
l'autre dans les relations professionnelles ou amicales. Mi casa es tu
casa ("ma maison est la tienne") ponctue souvent une
première rencontre. "C'est loin d'être une invitation mais une pure
convenance", avertit Katia Villafuerte, psycho-sociologue à l'Institut
technologique de Monterrey.
Cette amabilité
de façade remonterait à la colonisation. "L'impératif de maintenir
l'harmonie de la relation vient du sentiment d'infériorité de l'Indien envers
le colon, explique-t-elle. Aujourd'hui, on continue de répondre à
une sollicitude par "a sus ordenes" ("à vos ordres")." Cette
identité, entre rejet et fascination de l'héritage espagnol, a été finement
décrite par Octavio Paz dans Le Labyrinthe de la solitude (Gallimard,
1990). Le célèbre auteur mexicain compare cette volonté de sauver les
apparences à "un masque qui, en même temps, nous exprime et nous
étouffe".
Plutôt sympathique, ce comportement singulier peut néanmoins virer au
casse-tête en cas de panne de voiture ou de fuite d'eau. Les garagistes et les
plombiers disent souvent "je passe "al rato"".
Autrement dit "je passe immédiatement" aussi bien que "dans une
heure", "demain" ou encore... "Jamais". "Etre
en retard est un sport national, décrypte Katia
Villafuerte. S'énerver serait un manque de respect. Les Mexicains
marchent à l'affectif."
Leurs échanges n'en sont que plus tactiles, même entre hommes. Entre
amis, -l'abrazo s'impose : les deux comparses se serrent d'abord la
main puis se donnent une accolade qui se termine par trois tapes viriles dans
le dos avant de se resserrer de nouveau la main. "Le
geste vient de la révolution, raconte Olivier Soumah-Mis. Les
hommes vérifiaient ainsi si leur interlocuteur était armé."
Avec une femme, l'abrazo s'accompagne d'une délicate bise
sur une joue. Cariño ("chéri"), amor ("amour"), corazon ("cœur")...
Les marques d'affection ne manquent pas entre personnes de sexes opposés. La
porte ouverte aux quiproquos sentimentaux. "Un cadre français à
peine débarqué a pris à la lettre les mots tendres d'une collègue mexicaine qui
était juste aimable avec lui", s'amuse encore Olivier Soumah-Mis. Gare
aux cœurs brisés par les coutumes d'un pays où la chaleur humaine est érigée en
art de vivre !
§ Frédéric Saliba
Journaliste au Monde
Journaliste au Monde
Moi, Frédéric, cela ne me viendrait absolument à la tête de tutoyer ni ma bonne, ni les vendeurs etc., c'est une question d?age et éducation
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